By matthieu on November 6, 2025
Introduction
Est-ce que le niveau baisse ? C’est toujours la grande question ! Une autre manière de poser la question serait de se demander si les exigences baissent, voire si l'offre baisse. S’il est plus difficile d'avoir accès à des lectures de qualité et si les élèves ont plus souvent tendance à être mis face à des œuvres de qualité médiocre, leur intellect est alors moins stimulé et leur vocabulaire s’appauvrit.
Faisons donc un test aujourd'hui sur le standard de la lecture des écoliers : la Bibliothèque Rose. Depuis plus de 150 ans, cette collection contribue à la formation de la culture littéraire de multiples générations successives. Grands-parents, parents, enfants et petits-enfants ont tous lu « Oui-oui », appris des malheurs de Sophie et palpité devant les aventures de Fantômette. La culture c'est cela aussi : un socle de références communes qui forment à la langue française et donnent le goût de la lecture en supplément.
Contexte
Entre 1856 et 2000, la collection restait sur les mêmes titres : des séries bien connues de romans qui, encore une fois, ont posé les premières pierres de la culture littéraire de plusieurs générations d'écoliers : le club des Cinq, les livres de la comtesse de Ségur, les histoires Disney, Poly le poney, Caroline ou Jojo-Lapin. Ces livres se sont vu édités et réédités au fil des années.

À partir des années 2000, une partie de ces classiques ont été rangés dans la catégorie « Bibliothèque Rose Classique » et leur place dans la collection historique de la bibliothèque rose a été occupée par une palanquée de nouveaux « univers de marques » (ou, pour parler les termes du marketing anglophone : « IPs », intellectual properties), en grande partie issue de la BD ou du dessin animé : Miraculous, Bienvenue chez les Loud, Titeuf, Violetta, Winx Club…
La question est donc la suivante : comment ces nouveaux venus se comparent-ils aux classiques ?
Méthodologie
On a sélectionné 10 livres de chacune de ces collections, en essayant d'être le plus représentatif possible. On va les comparer sur un certain nombre de critères. L'objectif est de se placer du point de vue du lecteur et de connaître la différence d'impact entre ces deux sélections.
Il pourra être intéressant de poursuivre l'exercice sur une sélection plus étendue et obtenir un arrêt un résultat statistiquement viable, cela viendra dans un second temps.
Sélection classique :
Nouvelle sélection :
Pour ce qui est de la technique, la voici.
Il s'avère que le site Open Library permet d'emprunter virtuellement une sélection de livres qu'on peut consulter sur Internet. Une fois le livre emprunté, on lui fait subir les étapes suivantes :
Tous les fichiers texte sont passés à la moulinette d'un script Python, qui fournit en retour deux fichiers Excel, regroupant les analyses de chaque livre. Le script s’appuie entre autres sur http://www.lexique.org/, base de données de 140 000 mots de la langue française et sur la bibliothèque spaCy dédiée au traitement des langues et du texte.
L'analyse de ses résultats est présentée ci-dessous.
Résultats
Pour essayer de rester objectif au possible, on se concentre sur des critères quantitatifs : nombre de mots de vocabulaire, difficulté des mots (en nombre de syllabes), rareté des mots, variété de la conjugaison.
Les résultats se divise en trois catégories :
Nous regarderons quelques critères plus qualitatifs en dernier lieu.
Résultats - volume
En terme de nombre de mots, et donc d’épaisseur des livres si l’on reste à typographie constante, les classiques de la bibliothèque rose prennent le dessus.
Dans la sélection de romans, on compare le nouveau livre le plus fin avec le vieux livre le moins épais, et ainsi de suite par ordre croissant.
La variabilité est beaucoup plus importante sur les classiques : de 5000 mots pour Oui-oui à 50 000 pour les petites filles modèles. La moyenne est à 25 000 mots, soit environ 200 pages pour le format classique des livres de la bibliothèque rose à la couverture rigide blanche.
Nos nouveaux romans pour enfants ont une taille bien moindre : de 3000 mots pour Titeuf à 20 000 pour W.I.T.C.H, avec une moyenne à environ 8000 mots soit un peu moins de 100 pages.
La taille de ces livres est plus homogène, la majorité se situant autour de la médiane à 6000 mots environ.
En toute logique, le nombre de mots de vocabulaire unique à chaque livre est également moins important pour la nouvelle collection.
Résultats - qualité / complexité du texte
Pour ce qui se passe à l’intérieur du livre : longueur moyenne des phrases, nombre moyen de syllabe par mot, l’avantage reste aux classiques. Ils présentent en moyenne des phrases plus longues et de mots plus complexes.
On s’aperçoit pourtant que les mots à quatre syllabes apparaissant le plus souvent sont les mêmes entre les deux collections : principalement des adverbes comme « immédiatement », « naturellement », « malheureusement » et quelques adjectifs et noms « extraordinaire », « responsabilité ».
Résultats - conjugaison
Les constructions verbales sont plus simples dans la nouvelle collection de la Bibliothèque Rose, les auteurs privilégiant notamment l’usage du présent et du passé composé.
Le graphique ci-dessus pourrait donner l’impression que les livres de la collection classique font moins l’usage du subjonctif, mais cet effet est uniquement dû à la proportion. Lorsque l’on regarde en nombre d’occurrences, le classique l’emporte. Logique vu le volume de texte globalement plus important.
Il est intéressant de noter que les livres de la collection classique offrent plus de diversité en termes d’utilisation des temps verbaux. Les auteurs des nouvelles collection font majoritairement usage du présent et de l’infinitif, en comblant d’un peu de tous les autres temps. Dans les classiques, la répartition est plus équitable, offrant plus de variations au lecteur.
(PS : tous les temps ne sont pas représentés ici ; l’imparfait du subjonctif et le conditionnel passé sont également présents dans les textes, mais en faible volume. La tendance reste la même : ces temps sont proportionnellement plus représentés dans les textes classiques)
Conclusions
Un livre est une unité. On ne peut pas regarder décortiquer tout ce qui se passe à l’intérieur d’un livre x par rapport à un livre y, en particulier sur le taux de mots uniques, pourcentage de mots communs etc. A la fin des courses, il faut prendre le livre dans son entièreté.
On peut se demander également, quelle différence sur le bénéfice littéraire et culturel y-a-t-il entre la lecture d’un paquet de 10 livres de la nouvelle collection Bibliothèque Rose et du même nombre de livres de la collection classique ?
A lire les classiques de notre sélection presque-aléatoire, l’élève aura rencontré 16000 mots uniques, contre 9000 pour la nouvelle BR. Cela représente quasiment le double du vocabulaire ! (Plus exactement une augmentation de 77%, si l’on veut jouer sur les chiffres)
On note qu’il y a également beaucoup de mots d’anglais, d’argot, d’abbréviations voire de barbarismes : scoop, stress, clip, piercing, Internet, caméraman, info, logo, salto, vidéo, zozoter, supermenteuse, pô (au lieu de « pas »), horrib’, dégueu, mémère, gerbe, moisi, pourri, soutif’.
La palme revient à Titeuf qui, non content d’être à un niveau de simplicité inférieur à Oui-oui, se complait dans la familiarité. Nous n’avons rien contre Titeuf en lui-même, dans ses qualités de personnage fictif et de création d’un auteur. Faire rire les enfants au travers d’une BD est tout à fait louable. Le livre, et la lecture, sont cependant censés avoir une fonction différente. La BD penche du côté du divertissement, voire de l’initiation aux arts graphiques. Le livre, en plus d’être divertissant, possède également une fonction formative, surtout lorsqu’il est destiné à des enfants de 8 à 10 ans. Il doit faire découvrir et apprendre la langue française aux enfants. En un mot, le livre pour enfants est une arnaque. C’est un subterfuge manigancé par les parents et les profs pour faire apprendre le français aux enfants sous couvert de divertissement. Le livre est donc tenu à un certain standard, surtout lorsqu’il s’affiche sous la bannière d’une collection aussi prestigieuse que « la Bibliothèque Rose ». Tout comme on n’apprend pas à peindre en se lançant directement dans le cubisme, on n’apprend pas à parler en lisant de l’argot et des barbarismes. On y viendra dans un second temps, lorsque des bases solides de compréhension et de connaissances de la langue auront déjà été construites.
On pourra dire ce qu’on veut sur le caractère parfois daté de certains textes de la sélection classique. Malgré cela, ils conservent souvent un aspect de conte moral dont l’enfant pourra tirer une conclusion, et qui pourra le faire réfléchir sur sa relation avec ses parents, ses amis. La malheureuse Sophie a beau évoluer dans la grande bourgeoisie provinciale d’il y a plus d’un siècle et avoir des poupées en cire, ses tourments conservent des aspects familiers aux enfants de tous milieux sociaux et de toutes générations.
D’un autre côté, il semble que les romans de la nouvelle collection aient tendance à se vautrer dans la trivialité des histoires, et la banalité narcissique du « moi-je » d’un narrateur étalant ses sentiments et autres amourettes parfois affublées superficiellement de pouvoirs magiques donnés par des fées ou des licornes. Dommage.
Ces premières analyses devront être confirmées dans une étude plus profonde, qui pourra porter notamment sur la structure des phrases, ou l'utilisation de figures de styles.
Quant aux critères plus objectifs que nous avions retenus au début de cette démarche, les livres de la collection classique de la bibliothèque rose l’emportent sur tous les volets. En termes de vocabulaire, de syntaxe, de complexité des phrases et des mots, de diversité de la conjugaison, il est préférable de faire lire aux écoliers des livres de la collection classique de la Bibliothèque Rose, plutôt que ceux de la nouvelle collection. Leur culture littéraire et leur compréhension de la langue française s’en verront bien plus renforcées.
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